Gilbert Mac McIntosh avait pour habitude de rendre visite à la famille Chapman le dimanche après sa partie de golf. Il était spécialiste en statique chez l’avionneur de Havilland et était pour Colin Chapman un soutien précieux (et bénévole) quand il s’agissait de concevoir des châssis.
Quand Lotus est né, un certain nombre de jeunes travaillaient comme bénévoles, après leur travail, dans l’entreprise de Chapman. La société se trouvait dans une arrière-cour du quartier de Hornsey (nord de Londres). Elle s’était installée dans un hangar que le père de Chapman, tenancier de pub, avait utilisé pour stocker les bouteilles vides. Une règle d’airain était en vigueur lors du lunch chez les Chapman: tandis que Hazel, la femme de Colin, faisait la cuisine, le «personnel» se chargeait de la vaisselle. Selon Gilbert Mac McIntosh, on a dérogé à la règle un certain dimanche de juillet. Les conversations tournaient autour des voitures et d’une foule d’aspects techniques. Hazel y avait toujours son mot à dire. L’épouse de Colin Chapman fit remarquer que depuis le lancement de la Lotus 11 et après l’arrêt de la fabrication de la Mark 6, il n’existait plus de modèles de course et sport bon marché «for the boys». Effectivement, admirent les deux hommes autour de la table, Lotus avait à nouveau besoin d’un véhicule peu onéreux utilisable pendant la semaine pour se rendre au travail et le week-end pour disputer des courses.
Châssis tubulaire simplifié
On se mit donc d’accord pour que Mac et Colin planchent sur le châssis, tandis que Hazel, cette fois-ci, se chargerait de la vaisselle. A 22h, Mac et Colin avaient fini de dessiner la structure. Il s’agissait d’un châssis tubulaire simplifié de MK 11 en exécution Club avec essieu arrière rigide et moteur Ford à soupapes latérales en lieu et place d’un essieu De Dion et d’un moteur Coventry Climax OHC comme sur les voitures qui avaient remporté leur catégorie au Mans. La carrosserie de la Seven n’était guère plus qu’une peau d’alu étirée sur le châssis. L’aérodynamique ne jouait aucun rôle à ce propos (selon des mesures réalisées plus tard, le Cx de la Seven était de 0,76. A titre comparatif, celui d’une Coccinelle est de 0,45 et celui d’une voiture de série moderne de 0,28).
Dès le lendemain matin, Colin Chapman commande les ressorts appropriés à la nouvelle voiture. Il présente le plan du châssis à ses voisins, l’entreprise d’ingénierie Williams & Pritchard. Le 31 juillet, la nouvelle Lotus Mark 7 est terminée. Le châssis numéro 400 est propulsé par un Coventry Climax et possède un essieu arrière De Dion. Il est racheté par Edward Lewis, cordonnier et spécialiste des équipements de pilotes. Ce gentleman driver inscrit la nouvelle Lotus dans deux classes au Brighton Speed Trials disputé sur la célèbre Madeira Drive, dans la station balnéaire du sud de l’Angleterre. Le 7 septembre 1957, la nouvelle voiture fait sa première apparition en remportant une victoire.
Trois bras longitudinaux
A peine un mois plus tard débute le châssis 401, la Seven F. Il s’agit d’un authentique Clubman Racer avec un simple moteur Ford 100E à soupapes latérales, boîte à trois vitesses et essieu arrière rigide de la Standard Company. L’essieu est guidé par trois bras longitudinaux, deux supérieurs et un inférieur, ainsi que par un triangle. La voiture est vendue en kit, ce qui permet d’éviter la taxe sur les voitures complètes. L’éclairage est assuré par deux phares qui ressemblent à des yeux de grenouille. Portières et capote ne sont proposées qu’en option, tout comme les clignotants.
Colin Chapman déclara plus tard qu’il avait conçu et construit la Seven en une semaine, puis qu’il l’avait oubliée. En réalité, cette voiture, l’une des Lotus fabriquées en plus grand nombre et le plus longtemps, mais aussi la plus copiée de l’histoire, lui permettait de faire entrer de l’argent dans les caisses souvent vides de l’écurie de compétition et du constructeur de voitures de sport. La Seven n’a d’ailleurs jamais fait partie intégrante de Lotus Cars, mais était fabriquée par Lotus Components, pour des considérations fiscales.
Une Série 2 en 1960
Lotus ne travaillait la plupart du temps à son développement que lorsque cela était impérieux. C’est ainsi qu’une Série 2 apparaît en 1960. Colin Chapman supprime de nombreux tubes du châssis qu’il remplace, pour le stabiliser, par des panneaux de tôle d’alu rivetés. La suspension arrière, elle aussi, est modifiée. En bas, il n’y a plus désormais qu’un seul et unique triangle, le A-Frame. L’alu disparaît au profit d’un cône de nez en matière plastique renforcée de fibre de verre, solution beaucoup moins coûteuse. En outre, ce ne furent plus Williams & Pritchard qui livrèrent le châssis, mais Arch Motors. En 1959, Lotus avait déménagé de Hornsey à Chesnut. Autre nouveauté: il existait pour le marché américain des modèles avec ailes allongées et un moteur BMC A avec boîte à quatre vitesses et roues de plus petit diamètre, 13 pouces au lieu de 15, en tôle d’acier, les roues à rayons ayant disparu du programme.
A partir de 1959, Lotus peut compter sur son premier concessionnaire, le garagiste Graham Nearn qui, dans la localité de Caterham, au sud de Londres, s’est établi dans les anciens ateliers du pilote de course et futur propriétaire de Bristol, Tony Brooks. Il y vend des Lotus de course et de sport, tout en exploitant une station-service. Le garage de Nearn devient le lieu de ralliement des amateurs de Seven. A ce moment-là, Colin Chapman ne s’intéresse plus guère à sa voiture. Dans la nouvelle usine de la Delaware Road, la production de la Seven – si tant est que l’on puisse utiliser ce terme – végète.
Pièces de sous-traitance
Graham Nearn ne cesse de transmettre à Lotus les retours d’information des clients de Seven afin que l’on procède aux corrections nécessaires. La plupart du temps, il s’agissait cependant de pièces de sous-traitance qui n’étaient plus livrables. Encore de nos jours, une Seven est composée à 80% de pièces achetées en externe et empruntées à divers véhicules.
En 1966, Lotus inaugure une nouvelle usine sur un ancien aérodrome de la RAF, non loin de Norwich, dans le comté de Norfolk. La localité a pour nom Hethel, une bourgade quasi inconnue au cœur de champs de légumes. Aujourd’hui encore, le Norfolk est moins connu par son industrie que pour son agriculture. Colin Chapman vole de succès en succès. En 1965, l’écurie conquiert son deuxième titre de champion du monde de formule 1 avec Ford pour partenaire. Et elle est en passe de concevoir une voiture totalement nouvelle destinée à être équipée du premier moteur de F1 conçu par Cosworth et mis au point spécialement pour Lotus.
Dans ce contexte, la Seven est oubliée. Mais grâce à la persévérance de Graham Nearn (et aussi à un chèque mirobolant), la créature de Lotus revient sur le devant de la scène. Graham Nearn passe commande de quarante Seven, dont il garantit la vente en tant qu’unique concessionnaire. Il faut préciser que l’homme de Caterham a le sens du marketing. Pour le feuilleton télévisé «Le prisonnier», il prête à la BBC une Seven pour les premiers épisodes. Dans l’un de ces épisodes, on le voit même au volant de la voiture. Toutes les autres étapes de développement de la voiture sont à mettre à l’actif de Graham Nearn: remplacement du fragile train arrière Standard par une version plus robuste issue de la Ford Escort présentée en 1967 et utilisation du moteur Ford Kent à culasse transversale (le célèbre «Crossflow» de 1598 cm³). De même, refroidi par les expériences de ruptures, Arch Motors apporte différents renforts au châssis tubulaire.
«Oh my God!»
Rien n’avait changé entre-temps et ce n’était toujours pas Lotus Cars, mais Lotus Components qui construisait la Seven. Son directeur, Mike Warner, développe en 1969 un modèle revu de fond en comble avec un modeste budget de 5000 livres. Le nouveau châssis tubulaire est renforcé avec de la tôle d’acier et habillé d’une carrosserie en matière plastique. Hormis le moteur, la boîte de vitesses et le train arrière, elle n’a plus aucun point commun avec sa devancière, raison pour laquelle elle reçoit une désignation spécifique: Lotus Type 60. Lors de sa présentation, en octobre 1968 dans un hangar de l’usine Lotus, on constate qu’elle ressemble davantage à un buggy de plage qu’à une voiture de sport. Chapman, étonné, se serait écrié: «Mon Dieu, ils ont conçu une voiture complètement nouvelle». Et on ne peut pas dire qu’elle ait déclenché l’enthousiasme.
Cette Super Seven remise au goût du jour a été fabriquée pendant plus de trois ans avant que Lotus ne mette fin à l’aventure. Graham Nearn en fut fort marri. Cette voiture constituait son fonds de commerce. Il en avait acquis les droits, de même que quarante moteurs de Lotus Twin Cam et tous les châssis. Il avait acheté des exemplaires, pour certains pas complètement montés, d’une Lotus de formule Ford peu compétitive, la Type 59.
Choc pétrolier
Trente-sept exemplaires de la Seven Series 4, l’ancienne Lotus Type 60, ont été assemblés par la suite en tant que créations de la Seven Cars Limited à Caterham. D’ailleurs, les fanas ne parlent plus que de la Caterham Seven, la Seven de Caterham. C’est à ce moment-là que le fabricant des portières, assez sophistiquées, et de la capote annonce qu’il ne livrera ces éléments que si on lui en achète des quantités importantes. Le choc pétrolier avait mis en péril la survie des équipementiers. Graham Nearn est bien conscient qu’il ne pourra jamais se procurer portières et capotes en grande quantité.
Que faire? Une idée émerge: faire revivre la bonne vieille Seven Series 3. La capote et la structure de carrosserie-châssis tubulaire auraient été beaucoup plus faciles à fabriquer et pour un tarif meilleur marché, la totalité des gabarits nécessaires étant encore disponibles chez Arch Motors où on continuait à concevoir des châssis de remplacement. Au printemps 1974, Graham Nearn publie dans la revue anglaise Motorsport une petite annonce indiquant que quelques rares exemplaires de la Seven Series 3 sont à nouveau disponibles. Caterham envisage d’en fabriquer vingt-cinq, tous propulsés par un moteur Twin Cam Lotus. Graham Nearn explique: «Dès la publication de l’annonce, le téléphone n’a plus cessé de sonner.»
Première Caterham de Suisse
En 1976, sur l’initiative d’un jeune mécanicien de la région de Lucerne, la première Caterham arrive en Suisse. Depuis, Fredy Kumschick a importé dans notre pays plus de 500 exemplaires de l’icône de la voiture de sport britannique. Et il a dû en franchir des obstacles avant d’imposer ce modèle. Après avoir balayé les doutes sur le bien-fondé de la voiture, que beaucoup de non-initiés considéraient comme absurde, il a dû passer sous les fourches caudines de normes anti-bruit et anti-pollution toujours plus dures.
Mais grâce à la persévérance de son importateur, la Seven est venue en Suisse et y est restée. Il en est allé de même lors de l’introduction du catalyseur obligatoire à l’automne 1987. Il n’y a qu’en Suisse où l’on pouvait s’offrir une Caterham avec le moteur Ford CVH à injection directe et pot catalytique régulé. Plus tard, Fredy Kumschick enfonce le clou en commercialisant des exemplaires à moteur turbo qui compensent le déficit de puissance par rapport au bloc Ford Kent à culasse crossflow utilisé auparavant.
Fredy Kumschick connaît ensuite des années de succès avec le 2-l CSV 16V d’Opel/Vauxhall et, en particulier, avec les moteurs du Rover Group de 1,4 à 1,8 l de cylindrée. Le moteur le plus populaire reste le VVC K-Series de Rover, avec 143 ch usine, mais dont Fredy Kumschick parvenait à extraire 160 ch et parfois davantage. Le porte-drapeau de sa gamme était la Seven la plus rapide et la plus chère de tous les temps, la Caterham Competition R, une série spéciale limitée à vingt-cinq exemplaires. Son développement avait été assuré de A à Z par l’importateur suisse. Son moteur VX 2 l suralimenté développait 303 ch, mais son prix se situait au-delà des 100 000 francs.
Un club soudé
Autant la voiture est particulière, autant ses conductrices et conducteurs sont différents les uns des autres. Dès 1980, les «Seveners» de la première heure se regroupent autour d’un coiffeur de Lucerne, Roger Savaré, qui organise une concentration à Saint-Moritz (GR). Il est croustillant de préciser à ce propos que le club qui a été fondé à cette occasion est né bien avant son homologue dans la patrie de la Seven, au Royaume-Uni. Avec le Lotus Seven Owners Switzerland, il existe désormais une communauté soudée qui s’engage en faveur de cette voiture de sport minimaliste. Près de la moitié des propriétaires de Seven font partie du club.
Avec un puissant club à ses côtés, il a aussi été plus facile pour Fredy Kumschick d’affronter l’adversité des normes d’homologation helvétiques. A diverses reprises, le destin de cette voiture exotique, fabriquée depuis 1987 dans une petite usine de Dartford, semblait scellé. Si la Seven, cette année précisément et l’an dernier déjà, a battu de nouveaux records avec une trentaine d’immatriculations de voitures neuves, c’est aussi, entre autres, dû au fait que la Confédération a repris à son compte la dérogation de l’UE pour les séries confidentielles en matière de protection des piétons et contre les collisions.
Aujourd’hui encore, la Seven se passe d’assistance comme l’ABS, l’ESP, les airbags ou les tendeurs de ceinture. De même, sa suspension est toujours exposée aux regards et elle ne possède ni pare-chocs ni capot moteur amortissant les impacts. Sur le plan des valeurs de consommation et de dépollution, en revanche, la bombinette britannique est à la pointe de la technique. Le moteur respecte sans problème la norme Euro 6. Il en va de même pour la Caterham 485 CSR que nous testons dans le présent numéro, elle aussi une version spéciale exclusivement conçue pour le marché suisse. Elle prouve sans ambiguïté aucune que le concept de la Seven, pour simple et efficace qu’il soit, est et reste d’actualité soixante ans après sa naissance.