LA MYTHOLOGIE DE LA VOITURE AUTONOME ÉBRÉCHÉE

Un homme de 45 ans a perdu la vie au volant d’une Tesla Model S lors d’un accident aux Etats-Unis. Ou quand la foi dans la technologie a du plomb dans l’aile. Analyse.

La robotisation intégrale, fantasme ultime d’une humanité nourrie aux nouvelles technologies, risque-t-elle de se brûler les ailes? Il est trop tôt pour l’affirmer, mais l’accident mortel de Joshua Brown, 45 ans, qui avait activé le système de pilotage automatique de sa Tesla Model S sur une route de Floride, pourrait entamer la confiance presque aveugle dans les vertus de la voiture autonome. Le radar et la caméra placés à l’avant, les douze capteurs ultrasons scrutant l’environnement du véhicule dans un champ de 4,9 m quelle que soit sa vitesse, ainsi que le système électrique d’aide au freinage haute précision contrôlé numériquement, ne lui ont, hélas, pas évité une collision fatale avec un camion équipé d’une grue. L’agence américaine de la sécurité (NHTSA) a ouvert une enquête pour déterminer s’il y avait lieu de rappeler d’urgence tous les Model S en circulation.

Tesla, qui se vante d’être à la pointe des technologies de conduite autonome, se confond en excuses et en explications. «Il s’agit du premier accident fatal après quelque 210 millions de kilomètres parcourus avec l’Autopilot», souligne, un peu emprunté, le constructeur californien dans un communiqué publié le 30 juin dernier. Après avoir mis l’accent sur les circonstances particulières de la tragédie (lumière forte qui aurait altéré la fiabilité des systèmes), il rappelle que le pilotage automatique est encore perfectible et, surtout, qu’il requiert des règles de prudence draconiennes. «Même en mode Autopilot, notre manuel d’utilisation précise que le conducteur doit en permanence garder les mains sur le volant.»

tesla2Des questions qui reviennent sur le tapis

De toute évidence, Tesla joue sur deux tableaux: dans son arsenal marketing, il met en avant l’hypertechnologie qui assure une sécurité sans faille capable de sauver des vies et, en cas de coup dur, il abat l’atout du facteur humain ou des défaillances techniques qui viennent gâcher la belle machinerie high-tech de la voiture autonome. Qui lui reprochera cette duplicité, ce cynisme dans la mesure où son objectif, comme celui de l’ensemble des constructeurs, consiste à écouler des produits pour gorger les caisses d’espèces sonnantes et trébuchantes.

Au-delà de ce tour de passe-passe consumériste, l’accident qui a causé la mort du propriétaire de la Model S aux Etats-Unis permet de poser un diagnostic sociologique, voire anthropologique: la mythologie scientiste de ce début de 21e siècle, symbolisée par la foi aveugle dans l’automatisation et la robotisation, connaît son premier coup d’arrêt sur le terrain de la voiture autonome. L’idéologie du zéro risque, du zéro mort, le travers démiurgique qui consiste à nier le drame, l’imprévu, l’incontrôlable, se révèlent pour ce qu’ils sont: une illusion fabriquée de toutes pièces et destinée à légitimer la mécanisation de nos vies.

Les constructeurs ont beau claironner que les véhicules autonomes nous assureront une avenir radieux, ils ne peuvent occulter les questionnements éthiques et sociaux qu’induit la généralisation de cette technologie: qui assume la responsabilité quand une voiture guidée par un robot, un algorithme, provoque un accident? Les voitures autonomes seront-elles contraintes de choisir entre la vie des passagers et celle de personnes extérieures au véhicule? L’automatisation est-elle vraiment synonyme de liberté ou contient-elle en germe une forme d’asservissement à la technique? Le décès de Joshua Brown aura au moins eu le mérite de briser l’euphorie ambiante et de relancer le débat.

 


«L’AUTOMATISATION NE SERA PAS FREINÉE»


 

Né en 1966, Yves Delacrétaz est ingénieur civil et docteur ès sciences techniques EPFL, spécialisé en transport. Ancien chef de la planification de la mobilité du canton de Vaud (2002-2005) et ancien directeur général des transports du canton de Genève (2005-2011), il est actuellement professeur de mobilité et transport à la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud, à Yverdon-les-Bains. Yves Delacrétaz apporte son éclairage sur l’accident mortel survenu aux Etats-Unis.

Revue Automobile: Que vous inspire le drame qui a frappé un propriétaire de Tesla en Floride?

Yves Delacrétaz: Cela me fait fortetent penser aux premiers temps de l’automobile, il y a cent ans. On a alors beaucoup polémiqué autour d’accidents spectaculaires, et sur la pertinence de laisser circuler de tels «monstres» sur la voie publique…

Cet accident remet-il en cause les technologies liées à la voiture autonome?

Absolument pas. Ce mouvement vers l’automatisation de la conduite ne sera pas endigué par de tels accidents de parcours.

Dans un dossier du Credit Suisse publié en juin 2015 sous le nom de «Qui contrôlera l’industrie automobile de demain?», l’auteur affirmait qu’un «mauvais accident pourrait suspendre les activités de l’industrie de la voiture autonome pendant des années». Ce diagnostic est-il correct, selon vous?

Pas du tout. L’innovation tire généralement un parti positif de ses erreurs et tâtonnements. Cet accident sera vite oublié.

Pensez-vous que notre société accorde une confiance aveugle à la voiture autonome?

Non. La législation routière place la sécurité au premier plan des préoccupations. Elle est de ce fait plutôt conservatrice.

Que peut-on dire sur les problèmes de responsabilité qu’implique l’autonomisation des des véhicules?

C’est un problème difficile parce que toute la législation routière est fondée sur la responsabilité du conducteur. Sans conducteur, à qui attribuer la responsabilité? Certains constructeurs de voitures autonomes ont annoncé qu’ils allaient se substituer au chauffeur et assumer la responsabilité de la conduite autonome. C’est probablement la meilleure solution pour favoriser la diffusion de ces systèmes. En outre, cela garantit que l’objectif de sécurité maximale restera au cœur des préoccupations de l’industrie.

 

 

 

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