Août 2014: à l’arrivée du Rallye Deutschland, Thierry Neuville fêtait sa toute première victoire mondiale. Le jeune Belge reconnaissait volontiers qu’elle devait plus aux déboires des pilotes de Volkswagen qu’à son indéniable talent. Elle n’était pas pour autant usurpée puisqu’il avait eu le mérite de ne commettre aucune faute.
Depuis lors, le pilote que tout le monde s’arrachait a connu plus de désillusions que de succès. En 22 rallyes, seuls trois podiums – sur la deuxième marche en Suède, puis sur la troisième en Sardaigne en 2015 et au Monte-Carlo cette année – sont venus enrichir le palmarès de celui qui en avait conquis neuf au cours des 19 manches précédant sa victoire en Allemagne. Au point que son statut de pilote n° 1 de Hyundai a été remis en question par les dirigeants de la marque.
Cette année, Daniel Sordo lui a été préféré en tant que fer de lance de l’équipe coréenne (rappelons qu’un pilote doit être désigné pour effectuer au moins 10 rallyes, l’autre pouvant être remplacé à tout moment) et Neuville a été relégué dans l’équipe bis au Portugal et en Italie. C’est évidemment facile à dire après coup mais, avec le recul, cette stratégie n’a guère été payante. Si Hayden Paddon avait été intégré au team principal en Argentine, où il a gagné, et si Neuville n’en avait pas été écarté en Sardaigne, le retard de Hyundai sur Volkswagen ne serait actuellement que de 28 points au lieu de 70!
Valeur intrinsèque
Le menu de ce Rallye de Sardaigne était copieux. Après les amuse-gueule insipides sur un terrain de rallycross le jeudi soir, les entrées étaient variées mais relativement légères avec deux boucles composées d’un tronçon de 7,5 km et de trois autres d’une quinzaine de kilomètres. En revanche, les plats de résistance du samedi s’annonçaient indigestes avec deux passages dans deux spéciales de 22 km et dans les 44 km du monument du rallye, Monte Lerno. En guise de dessert, il n’y avait qu’un peu plus de 40 km le dimanche, soit moins de 13% de la distance totale contre la montre.
Tandis que Sébastien Ogier, leader de la première heure et de nouveau en tête après l’ES 3, galérait dans la gravette, Neuville et Jari-Matti Latvala s’en donnaient à cœur joie et prenaient à tour de rôle le relais du triple champion du monde. D’abord extrêmement serré, le duel entre les deux hommes tournait à l’avantage du Belge dans l’après-midi. En remportant les trois dernières spéciales du jour, il se ménageait une avance de 11’’1, tandis que le retard d’Ogier passait de 10 à 40’’. Le passif d’Andreas Mikkelsen et Mads Østberg, dans un mouchoir, frôlait la minute pleine et celui de Sordo la dépassait. Quant à Paddon, il manquait à l’appel. Surpris au bout d’une portion sur asphalte, il était sorti violemment de la route en reprenant contact avec la terre, détruisant la i20 toute neuve que son équipe avait construite en une semaine après l’incendie dont le Néo-Zélandais avait été victime au Portugal.
La lutte d’Ogier
Plus sensible lors de la deuxième étape, le phénomène de balayage creusait encore davantage l’écart séparant Ogier des deux hommes de tête. A la fin de la journée, il pointait à 1’15 du leader, tandis que Neuville n’avait augmenté son pécule que de 5’’. Alors qu’il menaçait Ogier, Østberg avait abandonné sans rémission après avoir flirté avec un rocher. Sorti de la route à haute vitesse dans l’ES 14, Mikkelsen repartira le dimanche sans espoir de réintégrer le top 10. Les mésaventures des deux Norvégiens offraient la 4e place à Sordo, la 5e à Tänak et la 6e à Camilli.
Durant la courte dernière étape, Neuville fera mieux que résister, enfonçant le clou en signant deux nouveaux scratches, tandis que le dernier, celui qui rapporte trois points de bonus, revenait à Ogier. Neuville dédiait sa victoire à Philippe Bugalski, son mentor à ses débuts, qui aurait fêté son anniversaire ce 12 juin. Une victoire qui n’a été officialisée qu’à 23h, suspendue à un rapport des commissaires techniques. Ceux-ci ont noté que les vitres latérales des i20 n’étaient pas les mêmes que celles figurant sur les photos de la fiche d’homologation et qu’il y avait une différence de poids de 17 grammes d’un côté et 19 de l’autre. En 2007, au Portugal, toutes les Ford avaient écopé d’une pénalité de 5’ pour des vitres arrière trop minces de quelques dixièmes de millimètres. Cette fois Hyundai s’en est tiré avec une «simple» amende de… 50 000 euros!
L’art de la gestion
Malgré un quatrième rallye consécutif sans victoire, ce qui ne lui était jamais arrivé depuis qu’il est pilote d’usine (2011), Ogier était transfiguré. Etait-ce seulement dû à la perspective d’être bientôt papa? A ce sujet, il avait averti tout le monde, avec la bénédiction de son équipe: «Si ma femme m’appelle pour me dire qu’elle est sur le point d’accoucher, je quitterai immédiatement le rallye pour me rendre à son chevet.» Le futur héritier du triple champion du monde a eu la bienséance de ne pas pointer en avance. Plus souriant que ces derniers temps, Ogier n’a jamais évoqué son handicap de balayeur, du moins explicitement. Pourtant, en Sardaigne, il est l’un des plus pénalisants de la saison. La couche de terre qui recouvre les chemins sardes est très fine, sablonneuse, parfois même semblable au fech-fech du désert. L’immense talent du Français lui a permis de sauvegarder sa troisième place ainsi que la tête du championnat.
Loin, très loin, Neuville ne constitue pas une véritable menace. La régularité de Sordo ne suffit pas pour faire de lui un prétendant au titre et les trois autres pilotes figurant dans le top 7 (Mikkelsen, Østberg et Paddon) sont repartis d’Italie bredouilles. Avant le Rallye de Pologne, Ogier n’a déjà plus impérativement besoin de gagner. S’il termine deuxième du rallye et de l’ultime tronçon des huit courses à venir, la seule chance qu’a Sordo de le battre est de s’imposer et d’être le plus rapide dans la Power Stage à chaque fois. Selon ce peu probable scénario, le total des deux hommes serait de 292 points et Sordo serait sacré au bénéfice de ses huit victoires contre deux pour son rival. Dans la même hypothèse, huit scores parfaits ne suffiraient pas aux cinq autres postulants.
Résultats
6e manche du championnat du monde; départ et arrivée à Alghero; distance 1290,55 km; 19 spéciales (=324,60 km); 45 équipages au départ, 32 classés.
1. Thierry Neuville/Nicolas Gilsoul (B), Hyundai i20 WRC, 3 h 35’25’’8; 2. Jari-Matti Latvala/Miikka Anttila (FIN), Volkswagen Polo R WRC, à 24’’8; 3. Sébastien Ogier/Julien Ingrassia (F), Volkswagen Polo R WRC, à 1’37’’8; 4. Daniel Sordo/Marc Martí (E), Hyundai i20 WRC, à 2’54’’0; 5. Ott Tänak/Raigo Mõlder (EST), Ford Fiesta RS WRC, à 5’26’’4; 6. Eric Camilli/Benjamin Veillas (F), Ford Fiesta RS WRC, à 5’59’’8; 7. Henning Solberg/Ilka Minor (N/A), Ford Fiesta RS WRC, à 6’22’’2; 8. Teemu Suninen/Mikko Markkula (FIN), Skoda Fabia R5, à 8’57’’4 (1er WRC2); 9. Jan Kopecký/Pavel Dresler (CZ), Skoda Fabia R5, à 9’47’’0; 10. Karl Kruuda/Martin Järveoja (EST), Ford Fiesta R5, à 13’28’’5; etc.
Meilleurs temps: Neuville, 9; Latvala, 3; Ogier, 3; Abbring, 1; Camilli, 1; Tänak, 1; Østberg, 1.
Leaders: ES 1: Ogier; ES 2: Latvala; ES 3: Ogier; ES 4: Latvala; ES 5: Neuville; ES 6: Latvala; ES 7 à 19: Neuville.
Championnat (pilotes): 1. Ogier, 132 (116+16); 2. Sordo, 68 (64+4); 3. Mikkelsen, 67 (63+4); 4. Østberg, 58; 5. Paddon, 57 (53+4); 6. Latvala, 56 (51+5); 7. Neuville, 48; 8. Tänak, 34; 9. Meeke, 26 (25+1); 10. Camilli, 22; 11. Solberg, 14; 12. Lefebvre, 10; 13. Prokop, 10; 14. Suninen, 7; 15. Ligato, 6; etc.
Championnat (constructeurs): 1. Volks-wagen Motorsport, 178 points; 2. Hyundai Motorsport, 108; 3. M-Sport WRT, 90; 4. Hyundai Motorsport N, 76; 5. Volks-wagen Motorsport II, 74; 6. DMACK WRT, 40; 7. Jipocar Czech National Team, 18; 8. Yazeed Racing, 4.
Prochaine manche: Rallye de Pologne (30 juin-3 juillet).